La « XO Tablet » était un peu l’annonce OLPC surprise du dernier CES. Alors que depuis 2 ans, les annonces OLPC tournent autour d’un hypothétique XO-2 ou XO-3, c’est une tablet très différente, et destinée au grand public, qui est annoncée aujourd’hui. Décryptage de cette annonce surprise.
Le matériel: une tablet « standard »
La XO Tablet est une tablet 7″ qui propose une résolution de 1024×600. Comme c’est maintenant le cas de toutes les tablets du marché, elle est équipée d’un processeur dual-core de 1.6Ghz. Elle dispose de 1Go de RAM et 8Go de stockage flash qui sont extensibles via un port microSD. Côté connectique, elle propose le WiFi, un port HDMI et un appareil photo frontal et dorsal de respectivement 1.3 et 2 Megapixel. Enfin, elle a une batterie d’une capacité de 3800 mAh.
La XO Tablet intègre une housse de protection assez peu convaincante qui s’inspire du design initial du XO-3 de Yves Behar (un anneau dans le coin).
Le prix de la tablet n’est pas communiqué officiellement mais ne devrait pas dépasser 150$. La XO Tablet sera commercialisée exclusivement aux Etats-Unis dans les magasins Walmart qui se fixeraient un objectif de 200 000 ventes.
Le Logiciel: un nouvelle plateforme
Côté logiciel, la XO Tablet est équipée d’une nouvelle plate-forme, le « XO Learning Environment« . Cet environnement repose sur Android 4.2 Jelly Bean auquel il rajoute une surcouche spécifique.
L’interface s’appuie sur des « rêves »: je veux devenir Astronaute, Mathématicien, Ecrivain, Ingénieur, … que l’enfant peut explorer.
Chaque rêve est symbolisé par un « héros » personnalisable (Neil Amstrong par exemple pour Astronaute) et est en fait un regroupement d’applications Android catégorisées en 3 niveaux: Débutant, Intermédiaire, Avancé. Sur la capture ci-dessous par exemple, on voit que l’application « Angry Bird StarWars » est classée dans le rêve « Je veux être un Astronaute » au niveau « Débutant ». Les niveaux suivants pour Astronaute proposeront par exemple, une carte du ciel.
Les applications sont des applications Android « à caractère éducatif » du Google Play Store que OLPC et ses partenaires se sont chargés de classifier (quels rêves, quels niveaux). OLPC a également signé des partenariats avec des éditeurs de contenus américains comme Sesame Street ou Common Sense Media. Ils devraient proposer des applications spécifiques disponibles uniquement sur cette plate-forme.
L’interface reprend les icônes « à la Sugar » avec notamment le célèbre petit bonhomme XO qu’on retrouve dans chaque rêve. L’environnement propose également un pseudo-« journal » qui donne en fait des statistiques d’usage des applications selon les différents rêves.
3 enfants/utilisateurs peuvent se partager la XO tablet en disposant chacun de son profil dont il peut personnaliser le nom et les couleurs. Il peut également accéder à un espace de stockage spécifique (un répertoire sur le système de fichiers d’Android) notamment pour les photos.
Il n’est pas fait mention d’un contrôle parental mais il est possible – pour les parents – de désactiver l’accès à Internet, Skype et l’achat d’applications sur le Google Play Store. Il est également possible de revenir à l’interface native d’Android.
Difficile d’en dire plus sur cette tablet car ni le matériel ni le logiciel ne semblent finalisés. Ils ne seront disponibles qu’en mars. Seuls les journalistes d’Engagdget ont pu manipuler une version de pré-série (vidéo ici).
Une vrai rupture… stratégique ?
Si techniquement la XO tablet n’est pas une rupture profonde car il existe de nombreuses tablets pour enfants similaires, c’est plutôt dans sa conception et sa distribution que se trouve une vraie rupture pour la fondation OLPC.
D’abord la XO tablet n’a pas été conçue par la fondation OLPC mais réalisée « sous licence OLPC ». Autrement dit, ce sont des partenaires (notamment Sakar) qui ont développés le matériel et le logiciel en s’inspirant des concepts du projet OLPC.
D’ailleurs, ni le responsable logiciel de la fondation, ni le responsable matériel n’ont été impliqués dans le développement du projet qui a été piloté par la branche « business developpement » de l’association OLPC à Miami. Il est d’ailleurs possible que du matériel proposant la même plate-forme logicielle et les mêmes caractéristiques soit proposé par d’autres constructeurs de la même manière.
Autrement élément de rupture, la tablet n’est pas destinée aux pays en voie de développement. Il y a quelques années la fondation proposait un programme « Give One Get One » qui permettait au grand public d’acquérir un ordinateur XO destiné aux pays en voie de développement. Ici la XO tablet n’a pour cible que le grand public (les Etats-unis) et pas les pays en voie de développement.
Gros changement sur la « XO tablet », l’absence de Sugar, la plate-forme pédagogique d’origine de l’ordinateur XO. Comme Sugar repose sur une distribution GNU Linux Fedora et sur Python, alors que le XO Learning Environment s’appuie sur Android et Java, aucune compatibilité entre les deux environnements n’est envisageable. Ce changement n’est pas inattendu, d’abord parce que Sugar est détaché de la fondation depuis de nombreuses années même si la fondation finance encore des équipes internes dédiées à Sugar et adapte systématiquement les nouvelles versions de Sugar à l’ordinateur XO. Ensuite parce que la vente sous licence du XO Learning Environment se fait avec des partenaires qui veulent protéger leurs intérêts et sont donc très éloignés des concepts d’Open Source et de libre distribution des contenus portés par Sugar.
Une annonce perturbante
Le projet OLPC abandonne-t-il son orientation non-lucrative pour l’éducation des pays en voie de développement ? Clairement pas, les pays en voie de développement restent la cible du projet comme cela a été réaffirmé lors de la présentation au CES (voir la vidéo ici). La vraie nouveauté pour cette cible est d’ailleurs le lancement du XO-4, la version tactile de l’ordinateur XO d’origine qui est du coup passée un peu inaperçue. L’objectif (ambitieux) de la XO tablet serait de provoquer une rupture sur le marché des logiciels éducatifs, au même titre que l’ordinateur XO a provoqué une rupture sur le marché des matériels éducatifs.
Le projet OLPC abandonne-t-il l’environnement Sugar ? Le lancement de la XO tablet s’appuyant sur des partenaires et ciblant une tablet stantard et un marché spécifique, il n’est pas illogique qu’il s’appuie sur Android. L’ordinateur XO, lui ne fonctionne aujourd’hui qu’avec la plate-forme pédagogique Sugar et c’est Sugar qui est installé sur les 2,5 millions d’ordinateurs XO déployés dans le monde. L’existant (contenus et applications) est par ailleurs important aujourd’hui et non compatible avec Android. Il est clair néanmoins que la fondation (mais Sugar aussi en fait) s’intéresse de près pour l’avenir à Android qui est une plateforme en forte croissance et qui selon eux, intéresse les gouvernements.
Quelle est la stratégie de la fondation sur les tablets ? Après l’abandon du XO-2 (l’ordinateur livre) et l’abandon récent du XO-3 (qui avait été annoncé… au dernier CES), la XO tablet est-elle LA tablet que l’on attendait de la fondation ? En fait non, la fondation semble désormais considérer que le XO-4 tactile qui reprend le même packaging que le XO d’origine (appelée « clamshell »/coquillage) en y ajoutant un écran tactile, semble être la réponse la plus adaptée à l’utilisation de terminaux tactiles dans des pays en voie de développement. Notamment par sa résistance, sa faible consommation et son écran adapté au fonctionnement en extérieur.
Difficile d’aller plus loin dans l’analyse sans pouvoir manipuler le XO tablet et le XO-4 et avoir des réponses plus précises de la fondation, nous ne pouvons néanmoins que constater que cette annonce a beaucoup perturbé les communautés OLPC qui ont fait part de leur scepticisme sur les listes.
L’année 2013 devrait nous permettre d’y voir plus clair sur cette annonce « en marge » du projet OLPC.