Qu’est ce que Sugar ?

Interview Walter Bender
Lors du dernier SugarCamp en mai 2009, Walter Bender nous avait fait le plaisir de nous accorder une interview. Il y décrit en quelques phrases simples ce qu’est Sugar et le SugarLabs. Un bel entretien à lire attentivement pour comprendre ce qui anime Sugar et cette belle communauté.

Une première question, très simple: qu’est-ce que Sugar ?
Qu’est-ce que Sugar ? Sugar est une plate-forme d’apprentissage. Sugar est un ensemble de logiciels qui apportent aux enfants un environnement riche pour apprendre.

Et il a trois caractéristiques qui rendent cette plate-forme différente et, je pense, spéciale.

L’une d’elles, c’est sa simplicité. Sugar est facile à aborder. Ainsi, même les enfants les plus jeunes, même des enfants de 2 et 3 ans peuvent commencer à utiliser Sugar. Mais en même temps, il n’y a pas de limite à ce qu’ils peuvent faire avec Sugar. Ainsi, les enfants peuvent utiliser cette plate-forme simple pour realiser des objectifs très complexes. Ils ne sont donc pas limités par sa simplicité mais utilisent sa simplicité pour progresser.

La deuxième caractéristique de Sugar est qu’il encourage la collaboration. Sugar permet de manière très très simple pour les enfants et les enseignants de travailler ensemble sur des projets, de partager des idées et, en particulier, de s’engager dans un processus de critique des idées. Ils peuvent donc être expressifs avec leurs idées, être expressifs avec leurs connaissances et s’engager dans un dialogue critique qui est si important pour l’apprentissage.

La troisième partie est la réflexion. Sugar conserve un enregistrement, un journal, de tout ce que vous faites et dans ce journal nous stockons non seulement ce que vous faites mais aussi comment vous le faites. Ainsi vous pouvez revenir en arrière et voir vos progrès, et l’utiliser comme un moyen d’évaluation personnelle. L’enseignant et les parents peuvent également consulter le journal et l’utiliser comme un moyen de savoir où l’enfant fait des progrès, où l’enfant est en difficulté, et y travailler avec lui.

La combinaison de la simplicité, de la collaboration et de la réflexion. Voilà ce qu’est réellement Sugar.

Quelles sont les racines intellectuelles de Sugar? Quelles sont ses pères et grands-pères en termes de concepts ?
Comme vous le savez probablement, l’arrière grand-père de Sugar est John Dewey. Sugar s’appuie et s’inspire de l’énorme travail de gens comme Maria Montessori, Paulo Freire, Seymour Papert et Alan Kay. Tout ces gens qui ont réfléchi à la pédagogie et à la richesse de l’expérience d’apprentissage. Ainsi, Sugar ce n’est pas de l’enseignement, c’est de l’apprentissage. Il ne s’agit pas d’éduquer, il s’agit d’apprendre. Et Sugar est ancré dans quarante à cinquante ans de recherches. Ce n’est pas comme si l’on s’était réveillé un matin et avions décidé, « Hé, nous allons créer un logiciel pour les enfants », c’est quelque chose que nous avons vécu et qui nous à inspiré toute notre vie.

Walter Bender pendant la conférence
Qu’est ce que le Sugar Labs et comment travaillez-vous avec les enseignants ? Le Sugar Labs est-il plutôt côté développement ou bien est-ce un mélange de toutes ces idées sur l’éducation ?
Eh bien, Sugar Labs est une communauté. C’est une communauté de personnes qui veulent donner aux enfants l’opportunité d’apprendre et, pour atteindre cet objectif, s’appuyer sur des outils libres. Ce que nous avons fait avec le Sugar Labs, c’est créer une coalition internationale d’enseignants, de développeurs, d’artistes, d’écrivains, de parents, et d’enfants, qui s’intéressent tous aux manières d’apprendre et aux manières d’apprendre aux autres. Nous avons donc réuni des groupes partout dans le monde. Il y a d’ailleurs un groupe très important ici en France : OLPC France. Au Sugar Labs, il y a des enseignants qui parlent de la façon dont ils utilisent Sugar et qui font des remarques à la communauté des développeurs. Il y a des développeurs qui ne s’intéressent pas uniquement au plaisir de développer, mais aussi au fait de contribuer à la réalisation d’outils de développement pour d’autres, ce qui est je crois une bonne indication de ce qu’est cette communauté. C’est un principe moral. Un de nos buts est de rendre la communauté Sugar aussi inclusive que possible. La communauté Sugar est vraiment une communauté d’apprentissage. Et toute personne qui est un apprenant peut devenir partie intégrante de cette communauté et contribuer à la somme de connaissances que la communauté a accumulée.

Qu’est ce qui distingue Sugar et le projet éducatif de Sugar Labs des autres projets éducatifs s’appuyant sur les TIC dans le monde ?
Il y a plusieurs choses qui distinguent Sugar. Il y a beaucoup de grands projets TIC. Par exemple, ici en France, il y a le projet GCompris dont Bruno Coudoin a pris la tête. Du beau boulôt. Et j’espère qu’il fera partie de cette plate-forme plus large, de cette expérience plus grande qu’est Sugar. [NDLR: c’est le cas aujourd’hui.] Sugar est comme une éponge, il peut intégrer les grandes idées et les mettre à la disposition de plus d’enfants, plus de gens.
GCompris
Mais Sugar a un biais particulier pour réaliser cela. Nous essayons de donner à Sugar des « affordances » qui font que certains types de comportements que nous jugeons importants pour l’apprentissage se produisent. Je vais faire une analogie. Supposons que je veuille donner un livre à un enfant. Je peux lui donner le livre au format PDF qui est vraiment un format en lecture seule ou je peux lui donner le livre sous forme d’un Wiki. La différence n’est pas dans la lecture, la différence est dans l’espoir, l’aspiration, que l’enfant ne va pas seulement lire mais aussi écrire. Qu’il ne va pas seulement absorber mais aussi s’engager dans un dialogue. Le format Wiki contient des affordances qui vont permettre cette activité, alors qu’un fichier PDF ne le permet pas.

Ce que nous essayons de faire avec Sugar est de prendre d’excellentes idées d’enseignement dans le monde entier et qui intégrent ces affordances encourageant cette collaboration, cette réflexion et cette croissance.

Pourquoi le logiciel libre ? Y a t-il des limitations attachées au logiciel libre, ou simplement un plus grand potentiel ? Pouvez-vous expliquer l’idée de « zone de déformation » dont vous parlez ?
Sugar doit être un logiciel libre. Nous n’avons pas réellement le mot exact en anglais, pour exprimer la liberté. Sugar doit être libre car Sugar concerne l’apprentissage. Et, fondamentalement, l’apprentissage ce n’est pas recevoir des idées mais s’approprier des idées. Il s’agit de mettre en oeuvre une idée. Vous ne pouvez pas le faire si ce n’est pas un logiciel libre. Il y a un autre aspect qui est important pour l’apprentissage, c’est l’aspect culturel du logiciel libre. Un logiciel libre ce n’est pas seulement une question de partage, un logiciel libre c’est aussi un question de critiques. Il s’agit d’entrer dans un dialogue critique au sujet des idées. Et c’est fondamental pour l’apprentissage. Donc, sans la culture du logiciel libre, l’apprentissage ne peut pas être aussi riche. Sugar doit donc être un logiciel libre.

Maintenant, je voudrais faire une analogie avec l’industrie automobile. L’industrie automobile avait l’habitude de fabriquer des voitures qui étaient très rigides. Ainsi, quand cette voiture rigide percutait un arbre, rien n’arrivait à la voiture. Mais toute l’énergie de l’impact était alors absorbée par les passagers de la voiture. La voiture était protégée mais pas les passagers. L’industrie automobile a alors réalisé que c’était une erreur: les gens sont plus importants que les voitures. Ils ont donc conçu ce concept de « zone de déformation » qui, au lieu de rendre la voiture rigide, rend la voiture flexible, afin que l’énergie soit absorbée par la voiture. La voiture peut être cassée, pas les gens.

Nous essayons de mettre en oeuvre cette même analogie avec Sugar et je pense que c’est également inhérent aux logiciels libres. C’est l’idée d’une zone de déformation où nous ne concevons pas un logiciel verrouillé et rigide. Car c’est un objectif impossible à atteindre: il se produira toujours des problèmes. Mais au lieu d’imposer les problèmes à l’utilisateur, à l’enfant, à l’apprenant, nous transformons cela en une occasion d’apprentissage. L’apprentissage implique de faire des erreurs. Et lorsque vous faites une erreur et que vous essayez de déboguer un problème, cela signifie d’abord que vous êtes passionné de quelque chose et nous voulons profiter de cette passion. Mais il y a aussi le fait que si le prix d’une erreur est élevé, vous apprendrez rapidement à ne pas prendre de risques. Vous apprendrez vite à ne pas contester les idées. Nous faisons donc en sorte que le prix des erreurs dans Sugar soit très faible. Nous faisons en sorte que ce ne soit pas difficile à casser. Nous le rendons facile à casser, mais nous rendons le prix d’une erreur très faible. Ainsi nous encourageons les enfants à explorer, expérimenter, à essayer des choses. Et je pense que, là encore cela est lié à la culture du logiciel libre. L’industrie automobile n’est pas toujours une industrie à imiter mais il y a néanmoins de bonnes idées à reprendre.

Sugar a été initialement développé pour le XO d’OLPC, maintenant il est disponible sur plus de plates-formes. Est-ce que cela signifie que Sugar a été élaboré pour les pays en développement et qu’il est disponible maintenant pour n’importe quel pays ?
Eh bien, Sugar a été développé pour l’apprentissage des enfants. En effet, la plate-forme pour laquelle nous avons développé Sugar est l’ordinateur XO du projet l’OLPC. L’ordinateur XO cible les enfants des pays en voie de développement. Donc naturellement une grande partie de leurs préoccupations ont influencé la conception de Sugar. Mais Sugar a toujours été conçu fondamentalement pour l’apprentissage de tous. Et que vous soyez de l’Est, de l’Ouest, du Nord ou du Sud, chacun d’entre nous est un enseignant et un élève. Pour tout le monde, une partie de notre ADN en tant qu’être humain fait que nous sommes des être qui s’expressiment et des être sociaux.

Or Sugar est bâti sur ces fondations et ces fondations sont universelles. Donc, une des choses que nous avons fait et la raison pour laquelle nous avons créé le Sugar Labs est que nous voulions prendre ces idées et leur permettre d’aller au-delà du XO de l’OLPC. Le XO de OLPC est une très bonne plate-forme mais ce n’est qu’une plate-forme. Il y a beaucoup d’autres plates-formes intéressantes que nous aimerions être en mesure d’atteindre également. Il y a par exemple le Gdium, ou plus généralement la totalité du phénomène Netbook.
Mais plus encore, il y a un effort relativement nouveau pour Sugar, il s’agit de Sugar sur une clé USB, une clé USB live. Avec « Sugar On a Stick », vous pouvez expérimenter Sugar sur n’importe quel ordinateur. Donc, nous pouvons prendre une collection de vieux ordinateurs dans une école et permettre aux enfants d’exécuter Sugar. Ces enfants peuvent alors emporter Sugar, le ramener à la maison, l’utiliser sur l’ordinateur de leurs parents, dans une bibliothèque ou dans un CyberCafé. Ainsi, tout d’un coup, Sugar est partout ; bien sûr, plus il y a de personnes qui utilisent Sugar, plus la communauté est importante, et plus l’expérience est riche pour tous.

Sugar on a stick
Quelles sont les prochaines étapes, quelles sont les prochaines échéances pour le Sugar Labs et pour les projets de Sugar?
Sugar Labs lui-même est une communauté virtuelle. Il n’y a pas un lieu physique pour le Sugar Labs. Nous vivons sur IRC, irc.freenode.net, canal #sugar. C’est là où nous vivons, mais ce que nous essayons de faire avec Sugar Labs c’est un consensus dans la communauté internationale, autour de nos objectifs. Nos deux objectifs de développement sont aussi de construire un lieu d’échange d’idées, où les enseignants peuvent échanger des idées avec d’autres enseignants sur la pédagogie, sur la manière dont ils utilisent Sugar en classe, où les développeurs peuvent partager leurs creations avec d’autres personnes. Il y a beaucoup de tâches qui nous attendent, mais le réel effort, le vrai travail du Sugar Labs, est de faire croître la communauté et les discussions dans la communauté.

Thanks
Merci

Interview: Bastien Guerry et Laurence Buchmann.
Transcript et traduction: Lionel Laské et David Schönstein.