Comment les enseignants et les enfants s’approprient-ils les XOs en classe à l’école primaire ?

Le XO dans la classe à Saint-Denis

Une étude réalisée à Saint-Denis (ïle de France), 2012 – 2014

Le projet OLPC a soutenu de nombreux programmes de déploiement d’ordinateurs pour enfants à travers le monde. Les évaluations réalisées montrent notamment que les enseignants et l’entourage de l’enfant ont un rôle à jouer pour favoriser le développement d’usages autonomes et créatifs des ordinateurs portables de type XO. Comme le rappelle Yarosh [Yarosh et al. (2011)], « an entire social ecology needs to be in place for the child to successfully learn and connect« .(« la présence d’un écosystème social complet doit être en place pour que l’enfant réussisse à apprendre »).

Comment les enseignants s’approprient-ils les XOs pour en proposer un usage pédagogique à leurs élèves ?

S’approprier une technologie, la faire sienne, l’intégrer à ses pratiques quotidiennes, semble être un processus lent et progressif, qui passe par de multiples explorations des utilisations possibles des ordinateurs, des adaptations, etc. Qu’en est-il des classes mobiles composées d’ordinateurs portables ?

Pour observer et analyser ce processus dans la durée, nous avons conduit une étude pendant 2 ans et demi (janvier 2012-juin 2014) dans une école de St-Denis, aux portes de Paris.

Résultats

Introduction de la classe mobile: des transformations non anticipées

Les XO ont d’abord été utilisés par les enseignants pour remplacer certaines activités classiquement réalisées sur feuille (calcul mental, géométrie, production d’écrit) en vue de proposer des activités plus motivantes pour les élèves avec des applications susceptibles d’être plus adaptées à leurs besoins.

Découverte de la symétrie avec Dr Geo

Pour mettre en œuvre ce projet, les enseignants ont dû faire face à des contraintes organisationnelles nouvelles (déplacement, chargement) qui leur demandaient une réorganisation de la préparation de leur activité.

Au-delà de la préparation, l’observation des séances a montré que l’introduction des XO transformait toutes les dimensions de leur activité en classe (mise en place des situations d’apprentissage, gestion de la classe) ; ces transformations n’avaient pas été anticipées et ont été plus ou moins bien vécues. Néanmoins, l’attitude des enfants et leur implication importante dans les activités a motivé les enseignants à dépasser ces contraintes.

A l’issue de cette première phase, tous les enseignants étaient très enthousiastes !

Utilisation des XO dans la durée : deux trajectoires d’appropriation différentes

Durant la deuxième année, 7 enseignants ont souhaité participer au projet. Au cours de l’année, ils ont adopté deux attitudes différentes vis-à-vis du XO et deux trajectoires d’appropriation distinctes.

La majorité des enseignants ont exploré différentes activités des XO dans des disciplines diverses en s’appuyant sur les formations proposées. Ces explorations les ont parfois conduits à constater un écart avec leurs attentes, ce qui les a conduits à explorer d’autres directions. A chaque nouvelle exploration, les gestes professionnels habituels étaient remis en question, ce qui demandait une adaptation des séances proposées. C’est pourquoi les enseignants ont choisi de restreindre leurs explorations à un petit nombre de disciplines bien maitrisées. L’une d’entre elles a par exemple consisté en la réalisation d’une planche de manga avec fototoon (cf. précédente note de blog).

L’un des enseignants a choisi une autre stratégie. Il a utilisé une seule activité (tuxmaths, application proposant du calcul mental sous forme ludique), mais pendant plusieurs. Cette utilisation au fil de l’année scolaire lui a rapidement permis d’organiser son activité de façon très stable et de concentrer son attention sur l’apprentissage des élèves plutôt que sur la prise en main de l’ordinateur et de l’application.

Différents facteurs qui influencent positivement ou négativement l’appropriation

Au fur et à mesure de l’utilisation différents facteurs ont influencé positivement ou négativement le processus d’appropriation

Facteurs positifs. La formation proposée aux enseignants, la conception collective de scénarios pédagogiques et la dynamique d’équipe positive présente dans l’école ont motivé les enseignants à tester de nouveaux usages et à persévérer. On perçoit ici l’importance de la dimension sociale de l’appropriation.

L’attitude très positive des élèves face à la classe mobile (motivation, engagement, émulation, fierté devant le résultat produit) ainsi que les progrès observés sont également des facteurs qui facilitent l’appropriation.

Facteurs négatifs. En revanche de multiples contraintes freinent les usages des XO en classe. Il est à noter que ces facteurs évoluent au cours du temps :

  • Lors de l’introduction de la classe mobile, les facteurs principaux semblent être les contraintes logistiques (déplacement, chargement) mais aussi les perturbations de l’activité de l’enseignant.
  • Dans un second temps, les enseignants trouvent des solutions aux contraintes logistiques mais sont affectés par le manque de fiabilité de certaines applications. Ceci peut conduire l’enseignant à perdre le contrôle de la séance. Le manque de compétence technique peut accentuer cette sensibilité aux aléas et autres problèmes techniques. Des tensions temporelles entre les multiples tâches que doivent gérer les enseignants freinent également leur investissement.
  • Dans un troisième temps, les enseignants qui continuent à utiliser le XO souhaitent mettre en place des utilisations plus ambitieuses (collecte de données sur le terrain, puis réalisation d’analyse, de recherche d’information, de documents) mais un ensemble de contraintes techniques et des problèmes d’interopérabilité (fiabilité de la connexion wifi, absence de serveur pour gérer l’ensemble des ordinateurs, impossibilité d’imprimer, etc.) limitent les possibilités d’action.

Ces différentes contraintes conduisent progressivement les enseignants à utiliser les XO pour des enseignements disciplinaires spécifiques, à réinvestir la salle multimédia pour des projets plus globaux, impliquant de la recherche d’information ou la production de documents multimédias ou à renoncer à certains projets.

Réfléchir collectivement à des solutions

En conclusion, Le processus d’appropriation des XO est lent, il s’inscrit sur plusieurs années. Un ensemble de facteurs influence ce processus au cours du temps, et oriente les choix des enseignants et les usages proposés aux élèves.

L’accompagnement proposé aux enseignants et l’existence d’un collectif d’enseignants dynamiques et impliqués semblent être essentiels à la réussite du projet. Cet accompagnement doit avoir lieu lors de l’introduction de la classe mobile, mais aussi régulièrement ensuite, afin de permettre aux enseignants d’identifier les freins à l’utilisation et de réfléchir collectivement à des solutions.

Néanmoins, des contraintes techniques et « écosystémiques » freinent les usages. Pour que les enseignants puissent les dépasser il est important de mettre à leur disposition non seulement un ordinateur et des applications appropriées aux besoins des enfants, mais aussi un éco-système adapté aux besoins des enseignants, aux différentes facettes de leur activité. Ainsi, il s’agit non seulement de fournir des technologies supports aux apprentissages individuels, mais aussi de veiller à instrumenter la dimension collective de l’apprentissage à travers le suivi de l’activité des enfants, la gestion de leurs productions, et surtout le partage collectif de ce qui est réalisé par chacun.

Pour en savoir plus…

Rapport de l’étude : Nogry et al. (2015). Appropriation d’une classe mobile à l’école primaire : étude de cas durant 2 ans et demi à St-Denis. Rapport de recherche – Université Paris 8.
Rapport complet
Rapport synthétique

A lire aussi Decortis F. (2015). L’ergonomie orientée enfants. PUF

Partenaires du projet

Ce projet est est réalisé par Sandra Nogry MCF en Pyschologie des apprentissages (laboratoire Paragraphe, Université Cergy-Pontoise) et Françoise Decortis, Professeure en ergonomie, (Equipe C3U, Laboratoire Paragraphe, Université paris 8).
Il est financé par la région île de France (Projet PICRI) et soutenu par l’association OLPC-France avec le soutien de la fondation Lyoness Child and Family.

Pour toute information complémentaire vous pouvez contacter Sandra Nogry

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