[Nosy Komba] Quels usages du XO après 4 ans ?

Premier volet des actions 2013 sur notre déploiement à Madagascar: étudier les usages du XO après 4 ans. Interview exclusive de Sandra, tout juste rentrée de Nosy Komba.

Peux-tu te présenter rapidement ?

Je suis Sandra Nogry, enseignant chercheure en psychologie des apprentissages à l’université Cergy Pontoise, je réalise actuellement des recherches sur les usages des technologies en éducation. Cette recherche est menée en collaboration avec Françoise Decortis, Professeure d’ergonomie à Paris 8, financée par l’université Paris 8 (Projet PARI) et soutenue par la région Ile-de-France.

Tu termines 3 semaines de mission sur le déploiement OLPC France à Nosy Komba. Quel était l’objectif de cette mission ?

Je suis venue pour mieux comprendre les usages actuels des XO déployés à l’école d’Antitourne par OLPC France depuis maintenant 4 ans. Je m’intéresse aux usages des XO par les enfants à la fois à l’école et en dehors de l’école.

Plus concrètement quelles sont les actions que tu as menées sur place ?

La démarche que j’ai suivie est celle développée par l’ergonomie, ; elle consiste à comprendre l’activité des différents acteurs en vue d’améliorer les situations existantes.
Suivant cette démarche, j’ai d’abord cherché à identifier les enjeux des différents acteurs intervenant dans ce projet (différents membres d’OLPC France, responsables du projet, enseignants) à travers un ensemble de discussions informelles avec chacun à Paris puis à Nosy Komba. Ensuite j’ai cherché à comprendre les différentes contraintes qui pèsent sur les usages des XO en classe.

J’ai également observé l’activité des enfants lorsqu’ils utilisent le XO, afin de caractériser les différents usages. L’essentiel de mes observations ont eu lieu en classe, j’ai observé les 10 séances de XO (8 à l’école primaire, 2 au collège) qui se sont déroulées durant ma présence. J’ai aussi passé du temps avec les enfants du village afin d’observer les usages des XOs durant leur temps libre ; ma terrasse est rapidement devenue la salle de jeux du quartier ! Des échanges avec les enseignants les élèves sont venus compléter ces observations.

Quels sont les principaux résultats que tu as observés en classe ?

Ce que j’ai pu observer en classe, durant les séances de XO, c’est que l’essentiel des enseignants impliqués dans le projet se sont saisis des XOs pour proposer des séances visant à travailler les connaissances des programmes scolaires (lecture, histoire, géographie, etc.) sous des formes différentes. Les activités utilisées en classe sont assez variées, il s’agit à la fois de ressources pédagogiques utiles aux enseignements et non présentes dans les classes (par exemple les textes, photos ou cartes proposées par l’activité Madagascar), de jeux éducatifs (Tuxmath, GCompris) et des activités qui offrent des formes d’interactions (Mémoriser) ou d’expressions nouvelles (Ecrire, Etoys, Fototoon, etc.). J’ai par exemple observé que l’activité Fototoon était utilisée en Français (à l’école primaire), et en Anglais (au collège) pour mettre en scène des situations de communication et les représenter sous forme de film ou de bande dessinées.

Durant les séances, j’ai également observé un réel effet de l’utilisation des XOs sur la motivation des enfants : ils s’engagent rapidement dans les activités proposées et sont attentifs, concentrés sur le travail à réaliser.

Qu’est-ce que ce que le XO a changé sur l’apprentissage ?

Les enjeux en termes d’apprentissage sont différents suivant les acteurs du projet. Pour le projet OLPC, le XO doit rendre les enfants autonomes dans leurs apprentissages et leur permettre d’acquérir les compétences du 21ème siècle: litéracie numérique, créativité, communication, collaboration, autonomie, pensée critique.
En revanche, ces compétences ne sont pas du tout présentes dans les programmes Malgaches. Du point de vue des enseignants le point le plus important est d’augmenter le niveau des élèves, de leur permettre d’accéder à d’autres ressources et de construire des connaissances nouvelles et d’améliorer leur maîtrise du langage.

Mon objectif était d’analyser l’activité des enfants, je n’ai donc pas fait de mesures quantitatives des connaissances ou des compétences des élèves. Néanmoins pour chacun de ces objectifs j’ai fait des observations qui peuvent donner des indications sur les compétences développées.

  • Concernant la maitrise des technologies et la litéracie numérique, j’ai observé qu’une majorité d’enfants présents durant les séances de XO semblent à l’aise avec l’ordinateur. Ils connaissent bien les activités présentes dans le XO, savent y accéder, et utiliser les fonctionnalités de base des principales activités (Ecrire, Enregistrer, Madagascar, principaux jeux). Chez les CM1-CM2, on observe qu’ils savent utiliser le gestionnaire de fichier de Gnome et passer de l’interface Sugar à Gnome sans difficulté. Il est à noter que mes observations portent uniquement sur les 50 à 70 % des élèves qui participent aux séances de XO. Selon les enseignants, ce sont les enfants nouvellement arrivés dans l’école cette année qui ont le plus de difficulté à utiliser le XO.
  • Concernant les compétences transversales (collaboration, autonomie, créativité), contrairement aux cours classiques, en classe le XO favorise l’autonomie. La pédagogie prônée par les programmes est fondée sur la répétition et l’apprentissage par coeur ; avec le XO, même si les séances sont très guidées, les enfants sont amenés à être plus actifs, à produire des contenus et à réfléchir par eux-mêmes ; c’est donc un pas, parfois léger mais réel, vers l’autonomie.
    J’ai pu voir dès mon arrivée que les élèves ont l’habitude de collaborer avec le XO comme durant leurs jeux quotidiens. Le village dans lequel ils grandissent est le lieu d’un projet de développement dans lequel la collaboration est particulièrement valorisée. Dans ces conditions, et sans point de référence, il est difficile de mettre en évidence l’apport du XO sur la collaboration. Il faudrait conduire une étude systématique auprès des enfants nouvellement arrivés dans le village. En classe, les activités proposées mettent peu en jeu la créativité en revanche de leur propre initiative, les enfants utilisent le XO pour différentes activités créatives telle que la photo, la vidéo, le roman photo, du dessin ou parfois de la musique. L’outil semble donc être un bon support à leur créativité.

  • Les différentes ressources présentes sur le XO permettent aussi aux élèves d’apprendre de manière plus active les connaissances et compétences travaillées en cours dans différentes disciplines (mathématique, histoire, géographie, etc…) ; à l’école primaire, Tuxmath rencontre un vif succès.
  • Du point de vue de la maîtrise de la langue, le XO permet de travailler des compétences non travaillées dans les cours classiques. Les cours classique permettent de travailler principalement grammaire, vocabulaire, conjugaison tandis que le XO permet occasionnellement de travailler d’autres compétences notamment les situations de communication.

Au vu des observations réalisées, on voit qu’avec le XO les élèves sont activement engagés dans des activités d’apprentissage portant sur des connaissances et compétences variées. On peut donc faire l’hypothèse d’un effet positif du XO sur différentes formes d’apprentissage. Toutefois, ces observations doivent être nuancées : dans beaucoup de situations, j’ai observé le manque de maîtrise par les enfants de certaines fonctionnalités des activités du XO ; cela occasionne pour eux beaucoup de difficultés et peut parfois être un frein aux apprentissages (centration sur les aspects technique et perte de vue des apprentissages en jeu dans l’activité). Ce phénomène n’est pas propre à Nosy Komba ou aux activités proposées par OLPC, des résultats semblables ont été mis en évidence par ailleurs.
La plupart des enseignants sont conscients des difficultés rencontrés par les élèves et mettent en place des solutions pédagogiques pour gérer ce problème. A l’issue de mon travail d’observation, j’ai animé une réunion avec eux afin d’identifier les difficultés des élèves et de réfléchir ensemble aux actions possibles en présentant notamment les solutions mises en place par les enseignants de Saint-Denis ; ce moment a été un partage d’expérience riche !

Quels sont les principaux résultats que tu as obtenus sur les autres usages ?

Concernant les usages informels, pour l’anecdote j’ai été surprise de voir dès le 1er soir des enfants traversant le village en écoutant de la musique. Au-delà de cette anecdote, les enfants que j’ai pu observer aiment réellement l’utiliser et l’utilisent pour différentes activités: les plus jeunes (6 – 8 ans) aiment faire des jeux, GCompris remporte un grand succès ; les plus grand aiment écouter de la musique, faire des photos ou regarder des photos ou images partagées ; les images sont assez hétéroclites: paysages, photos personnelles ou photos de chanteurs célèbres (Shakira, Michaël Jackson, Justin Bieber). Les plus grands enregistrent aussi des sons de l’environnement quotidien. Enfin, on trouve parfois des vidéos de XO diffusant des vidéos d’autres XO.
Je me suis demandé comment ils avaient obtenu tout cela: apparemment des clés USB circulent dans le village ce qui permet de faire circuler la musique Gazy (Musique pop local). (Note de l’Interviewer: Il semble aussi qu’ils enregistrent avec le XO les musiques qui leur plaisent et qu’ils se les échangent ensuite).

Les résultats sur la partie éducation sont-ils très différents de ceux constatés à Saint-Denis ?

Oui. Les usages de part et d’autres sont relativement différents, mais il est difficile de procéder à une comparaison de ces deux environnements pour l’instant pour plusieurs raisons :

  • Tout d’abord, les objectifs des deux études et les temporalités sont différentes : Ici, à Nosy Komba, la plupart des enseignants utilisent les XO en classe depuis 2 à 4 ans, et mes observations se sont limitées à deux séances par enseignants. L’étude que nous avons finalisée à Saint-Denis portait sur les trois premiers mois d’utilisation par les enseignants, et nous travaillons là-bas sur le processus d’appropriation ; les résultats que nous obtiendrons à l’issue de plus d’un an d’utilisation seront peut-être plus éclairants…
  • De plus, les contextes sont très différents : Ici à Antitourne, ce déploiement s’inscrit dans un projet global de développement du village; l’éducation des enfants y tient un rôle central, les enseignants sont incités à s’investir particulièrement pour contribuer à ce développement.
  • Les contraintes matérielles (électricité, maintenance, …) et institutionnelles (programmes scolaires, poids de l’inspection) qui pèsent sur le projet sont par ailleurs très très différentes. Par exemple la mise en place des conditions matérielles nécessaires au bon déroulement de la séance (groupe électrogène, installation, …) prend plus de 20 minutes. Ces différents éléments de contexte rendent difficile une comparaison trop rapide des deux terrains et demande une analyse approfondie.

Néanmoins, l’expérience des enseignants de Saint-Denis semble intéresser les enseignants ici, et réciproquement !

Merci Sandra. Un mot à ajouter ?

Merci Lionel, oui je rajouterais que cette étude fera l’objet d’un rapport complet qui sera bientôt disponible. Par ailleurs, au-delà de ces résultats, ce voyage m’a également permis de passer du temps avec des enfants très attachants, et de rencontrer une équipe d’enseignants compétents, engagés, et attentifs aux besoins des enfants, ce fut un plaisir d’échanger avec eux, et ça me parait une base solide pour assurer la pérennité de ce beau projet.

idf2005